BULLE SPECULATIVE AUTOUR DE L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
- MS Patrimoine & Conseil
- 10 nov.
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L’intelligence artificielle est devenue le symbole de l’ère numérique contemporaine. En moins de trois ans, elle a redéfini les priorités d’investissement, captivé les marchés boursiers et remodelé les stratégies des grands groupes technologiques. L’année 2023 a marqué le début de l’euphorie, 2024 a consacré les gagnants de cette révolution, et 2025 a vu naître les premières interrogations sur la solidité du phénomène.
Ce mouvement, comparable par son ampleur à la bulle internet du début des années 2000, pose aujourd’hui une question cruciale : sommes-nous à l’aube d’une bulle spéculative sur l’intelligence artificielle, ou simplement à la veille d’une phase de maturité du secteur ?
Un contexte d’investissement sans précédent
L’essor de l’intelligence artificielle s’est accompagné d’un afflux massif de capitaux. Les entreprises technologiques ont investi à une échelle inédite : près de 400 milliards de dollars en 2025, avec des projections proches de 500 milliards en 2026, selon les estimations communiquées par les grands acteurs du secteur.
Cette déferlante d’investissements ne se limite pas aux géants historiques comme Microsoft, Google, Amazon ou Nvidia. Elle s’étend désormais à des milliers de start-up et d’entreprises intermédiaires, toutes engagées dans une course à la performance algorithmique et à la puissance de calcul.
Mais cette frénésie d’investissement interroge. Les marchés semblent avoir intégré un niveau d’optimisme difficilement soutenable. L’indice Nasdaq 100, baromètre de la technologie mondiale, se valorisait à 38 fois les bénéfices attendus, contre 28 fois pour le S&P 500 et une moyenne historique d’environ 15.
L’écart est considérable. Il traduit une surconfiance dans la capacité du secteur à générer des bénéfices à court terme, mais aussi une concentration extrême des performances autour d’un petit nombre d’acteurs. Sur la période avril–octobre 2025, le Nasdaq 100 a progressé de 31 %, avant de connaître une correction brutale au mois d’octobre, signe d’une volatilité devenue structurelle.
Les signaux d’alerte se multiplient
Les premiers avertissements ne viennent plus seulement des économistes. Des figures de la technologie elles-mêmes commencent à s’inquiéter de la rapidité de la spéculation. Sam Altman (OpenAI) ou encore Jeff Bezos (Amazon) ont évoqué à plusieurs reprises la formation d’une bulle artificielle autour des promesses de rentabilité de l’intelligence artificielle.
Cette inquiétude est désormais partagée par les grands investisseurs institutionnels. D’après l’enquête mensuelle de Bank of America, publiée en octobre 2025, la « bulle de l’IA » est devenue le principal risque extrême identifié par les gérants de fonds mondiaux. Ce risque devance même ceux d’une résurgence de l’inflation, d’une perte d’indépendance des banques centrales ou d’un ralentissement global de l’économie.
La Banque d’Angleterre, dans son rapport de stabilité financière, évoque de son côté la probabilité d’une forte correction des marchés, rappelant que les valorisations actuelles atteignent leurs plus hauts niveaux historiques.
Les grandes banques d’investissement adoptent un ton plus mesuré. Goldman Sachs, dans une note intitulée « Pourquoi nous ne sommes pas (encore) dans une bulle », souligne que la situation reste sous contrôle… mais concède dans le même temps que tous les ingrédients d’une bulle sont réunis : excès de liquidités, valorisations élevées et dépendance à un récit technologique dominant.
Une rentabilité qui peine à se matérialiser
Derrière l’engouement, la réalité économique demeure fragile. Le cabinet Forrester estime que seuls 15 % des décideurs d’entreprise ont constaté une amélioration de leur EBITDA liée à l’IA au cours des douze derniers mois. Moins d’un tiers parviennent à relier leurs investissements dans l’intelligence artificielle à des gains concrets sur leurs résultats financiers.
Dans le même temps, 85 % des dirigeants affirment attendre un retour sur investissement positif sous trois ans. Cet écart entre l’attente et la réalité crée une tension grandissante dans les bilans des entreprises.
Autrement dit, la promesse d’efficacité et d’automatisation portée par l’IA n’a pas encore trouvé sa traduction comptable. Les coûts énergétiques, la complexité des infrastructures, la pénurie de compétences et la régulation croissante grèvent les marges.
Cette situation fait écho à celle de la bulle internet : un secteur en pleine expansion, dopé par les projections de croissance, mais où les retours financiers tangibles peinent à suivre la courbe des investissements.
De l’euphorie à la maturité : 2026, année du tri
Les analystes s’accordent sur un point : 2026 marquera un tournant. Non pas celui de l’effondrement, mais celui de la sélection naturelle. Le discours sur le potentiel cèdera la place à des métriques concrètes : le coût par décision utile, le rendement énergétique par requête, ou encore le taux de reprise humaine deviendront les nouveaux standards de performance.
Trois dynamiques vont coexister :
Un tri technologique, recentrant les investissements sur les modèles les plus performants et économes en ressources.
Un tri économique, où seules les entreprises capables de démontrer un véritable retour sur investissement survivront.
Un tri culturel, avec un passage progressif du mythe de l’intelligence universelle à une intelligence contextualisée, adaptée à des usages spécifiques et mesurables.
Cette phase de normalisation n’annonce pas la fin de la révolution de l’IA, mais plutôt son entrée dans la maturité économique
Conséquences pour les portefeuilles d’investissement
Pour les investisseurs et les professionnels du patrimoine, cette transformation impose une lecture stratégique des marchés.
Réévaluer les valorisations. Les ratios actuels du Nasdaq laissent peu de marge d’erreur. La moindre révision à la baisse des bénéfices pourrait provoquer des corrections rapides.
Renforcer la diversification. La concentration du marché autour d’une poignée de valeurs technologiques accentue le risque systémique. Une allocation plus équilibrée entre les secteurs et les zones géographiques devient essentielle.
Privilégier les fondamentaux solides. Les entreprises dont les profits progressent réellement au rythme de leurs valorisations (comme Nvidia ou Microsoft) resteront plus résilientes. À l’inverse, celles reposant sur des promesses floues devront être abordées avec prudence.
Anticiper le cycle des dépenses technologiques. Les directions financières des grandes entreprises exigeront désormais un ROI mesurable avant tout nouveau projet d’IA. Cette évolution pourrait freiner la croissance des fournisseurs de solutions et accélérer la consolidation du secteur.
2026 : une correction salutaire plus qu’un effondrement
La perspective d’une bulle éclatée effraie toujours, mais dans le cas de l’intelligence artificielle, le scénario le plus probable est celui d’une correction salutaire. Une baisse partielle des valorisations permettrait de restaurer une cohérence entre les promesses technologiques et les réalités économiques.
Ce retour à la raison n’implique pas la fin du cycle d’innovation. L’intelligence artificielle continuera d’évoluer, mais de manière plus ciblée, plus sélective et plus rentable. Les entreprises qui sortiront renforcées de cette phase seront celles qui auront su articuler innovation technologique et discipline économique.
Conclusion
L’histoire économique regorge d’exemples de bulles suivies de renaissances. L’intelligence artificielle ne fera pas exception. Après une période d’exubérance où les capitaux se sont précipités vers tout ce qui portait le label « IA », la prochaine étape sera celle de la consolidation et de la maturité.
Pour les investisseurs comme pour les conseillers en gestion de patrimoine, le véritable enjeu consiste désormais à transformer la fascination technologique en stratégie patrimoniale raisonnée.
L’intelligence artificielle restera un moteur d’innovation, mais elle ne pourra s’inscrire durablement dans les portefeuilles que si elle génère une valeur mesurable et soutenable.
Le cycle qui s’annonce ne sera pas celui de la disparition, mais celui de l’équilibre. Entre promesse et rentabilité, entre innovation et prudence, entre ambition et discipline, la réussite patrimoniale reposera sur la capacité à rester lucide dans un monde où la technologie fascine autant qu’elle fragilise.




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