PACTE DUTREIL : UN PILIER FISCAL FRAGILISE MAIS TOUJOURS ESSENTIEL A LA TRANSMISSION D'ENTREPRISE
- MS Patrimoine & Conseil
- 12 nov.
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Le Pacte Dutreil demeure, depuis plus de vingt ans, l’un des piliers du droit fiscal français en matière de transmission d’entreprise. Outil stratégique, il permet à des milliers de dirigeants familiaux de transmettre leur société à moindre coût, en bénéficiant d’une exonération de 75 % des droits de mutation. Ce mécanisme, codifié aux articles 787 B et 787 C du Code général des impôts, a contribué à préserver la continuité d’un tissu économique fondé sur la stabilité, la transmission et l’ancrage territorial.
Pourtant, la réforme adoptée le 3 novembre 2025 vient rebattre les cartes. Face à la dérive budgétaire et à certaines pratiques d’optimisation jugées abusives, le gouvernement a choisi de durcir sensiblement les conditions d’accès au dispositif. Ce tournant marque un moment charnière pour la fiscalité de l’entreprise familiale en France.
Un dispositif historique au cœur du capitalisme familial français
Créé en 2003 sous le gouvernement Raffarin, le Pacte Dutreil repose sur une idée simple : faciliter la transmission d’entreprises à caractère familial, afin d’éviter leur vente à des investisseurs extérieurs pour cause de droits de succession trop lourds. En contrepartie de cet avantage fiscal, les héritiers s’engagent à conserver les titres transmis pendant une période minimale et à maintenir une direction effective de l’entreprise.
Ce mécanisme a permis à plus de 2 000 chefs d’entreprise par an d’assurer la continuité de leur activité. Au-delà de son efficacité fiscale, le Pacte Dutreil est devenu un symbole de stabilité économique : il a contribué à maintenir en France des groupes familiaux de taille intermédiaire, souvent leaders dans leur région, qui auraient sinon risqué une cession à des fonds étrangers.
Une réforme budgétaire avant tout
Si la réforme de novembre 2025 a suscité autant de débats, c’est parce qu’elle s’inscrit dans un contexte budgétaire tendu. Selon la Cour des comptes, le coût réel du Pacte Dutreil pour l’État aurait atteint 5,5 milliards d’euros en 2024, contre une estimation officielle de seulement 800 millions.
Cette explosion s’explique par plusieurs transmissions patrimoniales exceptionnelles intervenues en 2023 et 2024, mais aussi par un mouvement d’anticipation massif de nombreux entrepreneurs, inquiets de voir le dispositif restreint. Face à ce manque à gagner, le gouvernement a choisi de réformer en profondeur la structure du Pacte.
L’objectif affiché est double : réserver l’avantage fiscal aux transmissions réellement entrepreneuriales, excluant les simples transmissions patrimoniales, et encourager la reprise effective des entreprises par les générations en activité, plutôt que par des héritiers passifs.
Des engagements de conservation considérablement renforcés
La réforme de 2025 durcit les conditions de durée et de gouvernance. L’engagement collectif de conservation impose désormais de détenir au moins 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote pendant deux ans avant la transmission. À cela s’ajoute un engagement individuel de six ans après la transmission, contre quatre auparavant.
Ainsi, la durée totale d’engagement passe de six à huit ans consécutifs. Ce renforcement traduit la volonté de l’administration de limiter les stratégies de revente rapide, souvent utilisées pour bénéficier de l’exonération sans véritable continuité entrepreneuriale.
Une nouvelle exigence d’âge vient compléter le dispositif : au moins un bénéficiaire doit être en âge d’exercer effectivement des responsabilités de direction pendant trois ans après la transmission. Cette condition vise à éviter les transmissions au profit de bénéficiaires trop âgés, dont la revente rapide risquerait de vider le dispositif de son sens.
Un périmètre d’actifs plus strictement encadré
La modification la plus sensible concerne la restriction des actifs éligibles à l’exonération de 75 %. Désormais, seuls les actifs strictement nécessaires à l’exploitation entrent dans le champ du dispositif.
Les biens personnels ou somptuaires inscrits à l’actif – tels que les résidences secondaires, œuvres d’art ou yachts – sont exclus de l’abattement. Cette mesure vise directement les montages d’optimisation qui consistaient à faire passer des biens privés pour des actifs professionnels.
Cette nouvelle frontière impose aux dirigeants de procéder à un audit patrimonial précis, afin de distinguer les actifs opérationnels des biens personnels. La valorisation fiscale devra désormais isoler chaque composante du patrimoine transmis, sous peine de redressement.
Une instabilité réglementaire qui inquiète le monde entrepreneurial
Depuis 2024, le Pacte Dutreil a connu plusieurs modifications successives : exclusion de la location meublée, renforcement des engagements de conservation, critères d’âge, redéfinition des actifs éligibles.
Cette succession de réformes crée une incertitude juridique majeure pour les dirigeants qui souhaitent anticiper leur succession sur le long terme.
Beaucoup dénoncent une instabilité chronique contraire à l’esprit même du dispositif. Les entrepreneurs, souvent attachés à la continuité générationnelle, redoutent désormais de s’engager dans un cadre fiscal susceptible d’évoluer tous les ans.
Dans le monde patronal, cette insécurité fait craindre une conséquence directe : la délocalisation du capital entrepreneurial. Comme le souligne le réseau Family Business Network France, affaiblir le Pacte Dutreil pourrait conduire à une vague de ventes à des investisseurs étrangers, avec un risque de perte d’ancrage territorial.
Les perspectives d’évolution : entre vigilance et adaptation
La Cour des comptes n’a pas dit son dernier mot. Dans son rapport attendu pour 2026, elle envisage plusieurs pistes d’ajustement, dont la réduction du taux d’abattement en cas de revente immédiate après la période de conservation. Cette mesure viserait à dissuader les transmissions opportunistes, mais risquerait de complexifier davantage un dispositif déjà technique.
Parallèlement, le ministère des Finances étudie un nouveau projet baptisé « Pacte Dutreil salarié », destiné à faciliter la transmission des entreprises aux salariés des très petites structures. Cette initiative, portée par le ministre Serge Papin, viserait à encourager l’actionnariat salarié et à renforcer la stabilité du tissu économique local.
Anticiper, sécuriser, accompagner
Dans ce contexte mouvant, la vigilance devient une nécessité absolue. Chaque projet de transmission doit désormais reposer sur un diagnostic patrimonial exhaustif. La qualification des actifs, l’âge des bénéficiaires, la durée des engagements et la rédaction des clauses de gouvernance doivent être analysés avec précision.
Les conseillers patrimoniaux ont un rôle crucial à jouer pour sécuriser ces opérations. Ils doivent aider les dirigeants à anticiper les prochaines évolutions, à intégrer des clauses de sauvegarde dans les pactes d’actionnaires, et à envisager des solutions complémentaires comme la donation-partage, le démembrement de propriété ou les structures interposées.
Le Pacte Dutreil reste un outil puissant, mais il exige désormais une structuration juridique irréprochable et une documentation rigoureuse.
Conclusion
Le Pacte Dutreil a été conçu pour protéger le patrimoine entrepreneurial français. Son objectif n’a jamais été d’enrichir les dynasties familiales, mais de préserver la continuité économique et l’emploi sur le territoire.
Durcir le dispositif pour en limiter les abus est légitime, mais le fragiliser excessivement reviendrait à affaiblir un pilier de la souveraineté économique nationale. Dans un contexte de concurrence mondiale, où les capitaux circulent plus vite que les générations, il serait dangereux de rompre l’équilibre entre fiscalité et transmission.
L’avenir du Pacte Dutreil dépendra donc de la capacité du législateur à conserver cet esprit de continuité : celui d’une économie où les entreprises restent familiales, ancrées dans leur territoire et transmises avec discernement.




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